La plus insolente des vendeuses a vendu une branche de mimosa cassée à un vieil homme. Je n’ai pas pu me retenir et je suis intervenu pour l’aider.

Je me rendais au marché. J’avais décidé qu’aujourd’hui ce ne serait ni roses ni lys, mais uniquement des fleurs de printemps. Après tout, c’est la fête du printemps.

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À l’entrée du marché, un immense panier de mimosa trônait fièrement. Si duveteuses et solaires qu’on aurait dit qu’elles luisaient. Je m’en approchai.

— Le vendeur, il est où ? demandai-je, blotti dans mon col.

 

— Il arrive tout de suite, mon garçon, répondit une femme postée derrière un étal de cornichons.

Je m’écartai, sortis une cigarette et l’allumai. Mes pensées étaient toutes tournées vers Dacha et Alionka — ma femme et ma fille — et leur joie à recevoir ces fleurs. C’est alors que j’aperçus le vieil homme.

Il portait un vieux manteau plein de pièces rapiécées, mais impeccable. Son pantalon était repassé, ses chaussures lustrées — l’une retenue par un fil de fer. Sous le manteau, sa chemise avait au col des petits morceaux de journal, recouvrant de minuscules coupures de rasoir. Le vent lui déchirait le visage, ses mains étaient bleues de froid, et pourtant il restait là, stoïque, attendant son tour.

Il ne ressemblait pas à un ivrogne. Il était pauvre, très pauvre, mais propre et fier.

La vendeuse s’approcha — une jeune femme en doudoune chère, téléphone collé à l’oreille. Le vieil homme se tint devant elle.

— Excusez‑mademoiselle… combien coûte une branche de mimosa ?

— Dégage, grand‑père ! cracha‑t‑elle sans même le regarder. — Tu tiens debout, toi ?

— Je ne bois pas… je voudrais juste offrir une branche à ma femme…

— Tu me fatigues ! Bon, voilà, une branche, cinquante roubles. La fête est finie !

Le vieil homme sortit trois billets froissés de dix roubles chacun.

— Peut‑être que pour trente, il y aurait quelque chose ?

— Si tu insistes, ricana la vendeuse. Elle plongea la main dans le panier et en tira une tige brisée, presque sans fleurs. — Tiens, casse‑toi avec ça.

Le grand‑père prit doucement la branche, ses fleurs pendantes comme sa tête. Il essaya de les redresser, de leur donner un semblant de vie. Soudain, j’aperçus une larme glisser sur sa main.

— Hé toi, lança‑je à la vendeuse, tu n’as donc plus aucune conscience ?

Elle se retourna. Vit mon regard. Pâlit. Gagna un silence.

— Grand‑père, attends, dis‑je, combien pour tout le panier ?

— P‑peut‑être deux mille roubles… balbutia‑t‑elle.

Je lançai l’argent vers son comptoir, attrapai un bouquet entier, généreux, et le tendis au vieil homme :

— Prends, va le donner. Tu le mérites.

Il n’y croyait pas. Il me regardait comme un enfant. Les larmes coulaient sur ses joues. Il secoua la tête, serrant sa branche brisée contre sa poitrine, comme un trésor.

— Viens, proposai‑je. Allons ensemble.

 

Nous entrâmes dans la boutique voisine, j’achetai un gâteau et une bouteille de vin rouge. Le vieil homme se tenait à l’écart, pressant son bouquet contre lui.

— Écoute, lui dis‑je, aujourd’hui c’est la fête. Moi, j’ai les moyens. Toi, fais juste ton cadeau à ta femme. Elle t’attend.

— Ça fait quarante‑cinq ans qu’on est ensemble… répondit‑il. — Elle est un peu souffrante. Mais comment aurais‑je pu venir sans rien ? Merci, fiston…

Il serra les fleurs contre son cœur et s’éloigna. Quant à moi, je restai dans la boutique vide, essuyant mes yeux.

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