Asya n’a jamais été dotée de capacités exceptionnelles. Depuis son plus jeune âge, elle avait compris que la nature ne l’avait pas gâtée sur le plan de l’apparence. Sa grand-mère, regardant sa petite-fille, soupirait toujours en disant :
— Eh bien, pareille laideur, je me demande de qui tu tiens… Probablement de ton père.
— Grand-mère, quel était mon père ? — demandait Asya.
— Comment veux-tu que je le sache, ma chérie ? Ta mère ne m’a jamais révélé ce mystère. Mais, visiblement, il te ressemblait.
Asya ne voyait presque jamais sa mère. Elle savait que celle-ci avait désormais une nouvelle famille. Elle, en revanche, était habituée à vivre avec sa grand-mère et son grand-père. Elle essayait d’aider aux tâches domestiques du mieux qu’elle pouvait, mais ses efforts gênaient plus qu’ils n’aidaient : elle donnait trop à manger aux poules, ou causait quelque autre catastrophe.
Elle passait de longues minutes à se contempler dans le miroir, sans comprendre ce que sa grand-mère pouvait bien trouver de fascinant en elle. Certes, on ne pouvait pas l’appeler jolie, mais elle ne se jugeait pas non plus monstrueuse : un nez sans bosse, pas de verrues — une physionomie tout à fait ordinaire.
À sept ans, Asya prit une décision importante : si elle n’était pas belle, elle ferait la beauté des autres.
Son premier « modèle » fut Kousma, le chat de la maison. Un soir, avant de dormir, elle se dit que, l’été, il devait avoir trop chaud et qu’elle allait l’aider. Le lendemain matin, très tôt, elle s’attela à la tâche. Kousma, sans se méfier, resta assis sagement pendant qu’elle le caressait avec douceur… tout en lui coupant soigneusement la fourrure.
Quand sa grand-mère vit le chat au petit-déjeuner, elle faillit s’évanouir en s’agrippant au chambranle de la porte. Quant à son grand-père, il s’effondra par terre, hurlant de rire jusqu’aux larmes. Il ne se calma qu’une fois que sa femme lui eut apporté un verre d’eau.
Asya ne comprenait absolument pas la réaction des adultes et se promenait la tête haute. Quant à Kousma, il n’osait plus sortir du jardin.
— Regarde ce que tu as fait au chat ! — grondait sa grand-mère. — Maintenant, il a trop peur de montrer sa tête aux autres chats. Il a perdu tout son prestige.
— Peut-être a-t-il peur que les autres veulent la même coupe, et que je ne puisse pas les aider ? — répliqua Asya. — Après tout, vous avez caché les ciseaux.
Cette nuit-là, grand-mère et grand-père décidèrent qu’il valait mieux mettre hors d’atteinte tous les instruments avec lesquels Asya « sublimait » le chat.
Quelques mois plus tard, persuivis qu’elle s’était calmée, ils relâchèrent leur attention… à tort. Ce jour-là, le grand-père se retrouva sans moustaches.
— Eh bien, papy, — se moquait la grand-mère, — ce n’est pas mal du tout ! À chaque nouvelle tentative, ta petite-fille progresse à vue d’œil !
Le vieil homme passa la nuit à siroter de la valériane.
Bientôt, on eut une longue discussion avec Asya pour lui expliquer de ne plus faire d’expériences capillaires. Grand-mère l’autorisa à s’entraîner sur sa propre coiffure — le moindre mal, assurait-elle. Quant au grand-père, il renonça à faire repousser sa moustache.
Quand Asya quitta l’école, personne ne doutait de la voie qu’elle choisirait. Les sciences exactes n’étaient clairement pas son fort, et son bulletin ne brillait pas par l’excellence.
Pour son bal de fin d’études, grand-mère et grand-père lui offrirent une paire de ciseaux professionnels. Quant à sa mère, elle se contenta d’apporter un gâteau. Mais Asya ne se vexa pas : elle y était habituée.
À l’école des métiers, tout le monde loua ses progrès. Bien sûr, il lui arrivait d’échouer sur certaines coiffures, mais dans l’ensemble, elle s’en sortait bien. Elle aimait profondément apprendre son art. Elle riait désormais de ses premiers « essais » d’enfant.
Pendant les vacances, elle retournait dans son village natal pour coiffer les anciens du pays. Tous les voisins venaient chez elle pour une coupe : même si elle était encore débutante, on lui reconnaissait une main légère et cela évitait de se déplacer loin.
— Regarde la file qui s’est formée chez toi, Asya ! Dès ton retour, tu te mettras au travail, dit grand-mère.
— Grand-mère, je ne rentrerai pas. Tu sais que je veux rester en ville. Je ne me contente pas de la coiffure : j’ai soif de connaissances, et ici, il n’y a pas les moyens de m’épanouir, répondit Asya.
Grand-mère le comprenait, mais son cœur souffrait : qui aurait besoin d’elle en ville ? En cas de problème, qui l’aiderait ? Sa mère ? Celle-ci avait déménagé sur la côte avec sa nouvelle famille et n’invitait même pas sa fille en visite.
Malgré les inquiétudes de sa grand-mère, Asya resta en ville. Elle loua une petite chambre chez une femme âgée et entreprit de chercher du travail.
Elle découvrit que personne n’embauchait de débutant. Chaque soir, elle rentrait plus triste que la veille. La propriétaire la consolait avec des tisanes et des paroles réconfortantes.
— Asya, ne baisse pas les bras. Tu finiras par trouver. Commence petit : peut-être qu’une petite coiffure te prendra.
— Madame Marina-Viktorovna, j’ai déjà essayé. Dans les petits salons, la patronne se réserve toujours la scéance : elle n’a pas besoin d’employés, soupira Asya en planifiant sa tournée du lendemain.
Le lendemain, elle décida de ne pas se fier aux annonces, mais de passer porte à porte dans chaque salon du quartier. En frappant à toutes les portes, l’une finirait bien par s’ouvrir.
Elle eut finalement de la chance, si l’on peut dire : un salon lui proposa un emploi… comme femme de ménage, pas comme coiffeuse.
L’argent d’Asya fondait, et elle accepta. Au moins, elle pourrait observer les maquettistes à l’œuvre.
Mais elle ne parvenait à regarder les coupes que lorsque le patron était absent. Dès son retour, il lui trouvait une tâche :
— Tu arrêtes de mater ! Tu as encore du chemin avant leur niveau. Alors ne fixe personne, ordonna-t-il.
Comment progresser si elle n’avait jamais de ciseaux en main ? Le salon n’était pas un endroit bon marché, et le patron craignait qu’elle ruine un client. Un jour, une des coiffeuses accepta de la laisser aider, mais aussitôt le patron cria :
— On dirait un atelier pour élèves-coiffeuses ! Une seconde comme ça, et vous êtes virées !
Depuis, plus jamais une collègue ne la laissa approcher des outils.
Pour ne pas perdre la main, Asya coiffait toutes les voisines de Madame Marina-Viktorovna. En remerciement, celles-ci la gavaient de pâtisseries. Quelques-unes la payaient, selon leurs moyens et leur bon vouloir.
Chaque sou gagné, Asya le mettait de côté : on ne savait jamais.
Les jours passaient, et rien ne changeait. Les semaines défilaient sans qu’elle ne s’en rende compte. Elle rêvait de retourner au village, mais on ne lui accordait jamais de congé — même si le patron était lui-même parti en vacances depuis quinze jours. Les coiffeurs étaient en RTT ou en maladie, et c’était elle qui devait faire le ménage.
Un matin, alors qu’elle s’apprêtait à crier « salon fermé », un vieil homme entra.
— Ma petite, fais de moi une personne décente, dit-il en franchissant la porte.
Son habillement montrait qu’il n’était pas un habitué du salon. Plutôt un ouvrier de ferme qu’un SDF, pensa Asya. Elle sentit que c’était son jour de chance : le salon était vide et le chef bien loin.
Les mains tremblantes, elle se lança :
— Asseyez-vous, je vous en prie. Quelle coupe voulez-vous ? — et elle énuméra toutes les coiffures pour hommes qu’elle connaissait.
— Ma petite, fais juste de moi un bel homme, sans fantaisie : rien d’écrit dans les cheveux, ni chignons colorés. Je ne veux pas me faire railler par les vaches.
Asya sourit, prit son souffle et se mit au travail.
Tout en échangeant des histoires sur les vaches, les chèvres et les chevaux – dont elle ignorait beaucoup malgré son enfance rurale –, elle soigna la chevelure de Vladimir Ivanovitch. Ils étaient si absorbés par la conversation qu’ils ne remarquèrent pas un deuxième homme entrer.
— Voilà merci, ma petite. Quel beau gosse je fais maintenant. On se marierait tout de suite — sauf que je suis déjà marié ! dit Vladimir Ivanovitch en riant.
Puis la voix furieuse du chef retentit :
— C’est quoi, ce délire ? Depuis quand on coiffe des « clochards » dans mon salon ?
Asya se retourna pour voir le patron, rouge de colère.
Vladimir Ivanovitch voulut protester, mais le chef l’interrompit :
— Je te vire sur le champ ! Mais tu vas d’abord rembourser chaque couteau, chaque paire de ciseaux ! cria-t-il.
Vladimir Ivanovitch sortit son portefeuille et remit l’argent à Asya.
— Tiens, ma fille. Merci pour la coupe.
— Merci à vous. Je vous en prie, partez maintenant, dit-elle à voix basse.
— Je règle tout, — assura-t-elle au chef. — Ne jetez pas les outils : je les garde pour moi, puisqu’il faudra bien que je rembourse.
— Très bien, grogna le chef en récupérant la recette. — Mais plus de « clochards » ici !
Après avoir fini le ménage, Asya ferma le salon et rentra triste chez elle. Elle savait qu’elle travaillerait des mois pour payer ce qu’elle devait. Elle envisagea de puiser dans ses économies, mais le chef l’aurait sûrement renvoyée.
Le lendemain, elle subit les regards moqueurs de ses collègues. Le chef avait tout raconté. Seule Léra, qui lui avait un jour permis d’aider, lui assura que tout finirait par s’arranger.
Asya baissait les yeux pendant le ménage pour ne pas croiser les visages.
À peine avait-elle presque terminé qu’un client entra. L’administratrice s’empressa de l’accueillir :
— Bonjour, monsieur, que puis-je pour vous ?
— Bonjour. J’aimerais une coupe. C’est le seul service possible ici ?
— Installez-vous, un coiffeur se libère bientôt, proposa-t-elle en désignant Léra.
— Non, je veux cette brunette au charmant sourire.
L’administratrice pâlit : toutes les coiffeuses du salon étaient blondes, c’était un caprice du patron. La seule brune était la femme de ménage.
— Vous faites erreur, madame, répondit-elle, quand le chef lui donna un coup d’épaule pour la faire taire.
— Mon ami s’est fait coiffer ici hier soir, après la fermeture. Il me l’a chaudement recommandée.
Alors le chef comprit :
— Elle arrive tout de suite. Elle est libre.
Il fila en coulisses, où Asya s’était réfugiée, ignorant tout.
— Change vite de tenue, client attend !
— Mais…
— Aucun « mais » ! Il est venu exprès pour toi.
Asya coupa les cheveux de l’homme, qui repartit enchanté :
— Asya, maintenant c’est toi et personne d’autre. Vovan ne m’a pas menti : tu es top !
Un autre client envoyé par Vovan suivit, puis un autre, toute la semaine durant. Asya était aux anges, et le chef se mit à la cajoler, oubliant de lui rappeler sa dette.
Une semaine plus tard, Vladimir Ivanovitch revint, habillé d’un élégant costume. Asya ne le reconnut pas tout de suite.
— Bonjour, ma fille, dit-il, et là elle comprit enfin qui il était.
— Bonjour, Vladimir Ivanovitch.
— Il faut qu’on parle. Tu finis à quelle heure aujourd’hui ?
— Dans une demi-heure.
— Parfait. On se retrouve au café d’en face. Moi, je pars régler une affaire.
Après le travail, Asya le rejoignit au café. Il fit signe :
— Je t’ai pris ce qu’il faut à mon goût. Tu dois avoir faim après ta journée.
— Merci… et merci aussi pour vos amis.
— Oh, ils étaient ravis de la coupe. Qu’est-ce qui t’étonne ?
— Un peu tout, répondit-elle, gênée.
Il lui expliqua qu’il était éleveur, propriétaire d’une ferme qu’il avait bâti de ses mains. Habitué à encadrer chaque étape, il devait parfois se rendre en ville pour ses dossiers, ce qui l’avait fait passer par le salon ce jour-là.
— Tu es brillante, ma fille, non seulement comme coiffeuse, mais aussi comme personne. On aurait dit un sans-abri ! rit-il.
— Juste un peu… bafouilla Asya.
— J’ai une proposition. Ma fille veut ouvrir un salon et cherche de bons coiffeurs au grand cœur. Elle n’est pas du genre à te traiter comme ton patron. Tu veux y aller travailler ?
— Avec plaisir ! — s’exclama Asya. — Vous n’avez besoin que d’un seul coiffeur ?
— Non, bien sûr. Tu en connais d’autres ?
— Je connais une autre fille excellente pour les colorations.
— Parfait. On se voit demain, même heure, ici.
Le lendemain, le vieux chef vit deux de ses meilleures coiffeuses quitter son salon. Douloureux aveu pour lui : c’étaient de vrais pros.
Pour les préparer, Asya partit en vacances chez sa grand-mère avec Léra. Elles devaient se reposer avant de commencer leur nouveau travail. Elles quittèrent la chambre de Madame Marina-Viktorovna, car le nouveau salon était trop loin. Mais Asya n’oublia pas la vieille dame : elle lui rend visite tous les deux mois pour coiffer ses voisines, qui l’accueillent toujours avec des pâtisseries et de belles histoires.
Asya se sentait enfin à sa place. Son nouveau travail lui apportait de la joie, et le soutien de Vladimir Ivanovitch et de sa fille renforçait sa confiance. Elle savait que son travail était apprécié, et que ses clients lui confiaient non seulement leurs cheveux, mais aussi leurs secrets. Léra s’était parfaitement intégrée, et leur duo était devenu la véritable fierté du salon.
Chaque retour chez Madame Marina-Viktorovna était une fête : les voisines offraient pâtisseries et récits chaleureux. Pour elles, Asya n’était pas seulement une coiffeuse, mais une amie qui embellit la vie et le cœur.
Asya comprit que la vie est difficile, mais qu’elle réserve parfois de si beaux cadeaux qu’ils l’illuminent et l’enrichissent. Elle fut infiniment reconnaissante pour tout ce qui lui était arrivé.