— « Papa, tu as vu ? Il y a cette voiture super stylée garée devant l’immeuble ! » lança Zhenya en entrant, décoiffée comme un moineau… puis elle s’interrompit net. Dans le salon, son père tenait la main d’une femme qu’elle ne connaissait pas. Zhenya oublia aussitôt la voiture.
— « C’est qui ? » grogna-t-elle en détaillant l’inconnue.
— « Zhenya, ma chérie, » répondit son père, visiblement ému tandis que la femme lui caressait la main, « je te présente Katia, la femme que j’aime. Je voulais vous la présenter depuis longtemps. »
— « L’aimée ?! Mais comment as-tu pu ?! Et elle va vivre ici ?! » pesta la adolescente, le cœur battant : sa mère était décédée il y a à peine trois ans !
— « Zhenya, ne me fais pas honte. » son père fronça les sourcils. « Katia est formidable. J’espère que vous deviendrez amies. Elle viendra habiter avec nous après notre mariage. »
— « Un mariage ?! Papa, tu vas te remarier ?! » s’offusqua Zhenya, abasourdie.
— « Oui. Nous allons nous marier, ma fille. »
La jeune fille, furieuse, quitta la pièce et se réfugia dans sa chambre, claquant la porte derrière elle. Elle tomba face contre le lit, tournant le dos au monde. Les larmes mouillaient l’oreiller, mais elle ne voulait rien entendre, pas même les coups discrets de son père.
— « Zhen, ça va ? » tenta-t-il en entrant doucement.
Elle repoussa sa main.
— « Comment as-tu pu ? C’est une trahison ! Tu aimais maman ! »
— « Je l’ai aimée et je l’aimerai toujours, ma puce. Mais il faut vivre. Katia est quelqu’un de bien. Elle m’aidera à être plus doux. »
La fillette resta muette. Son père sortit, la gorge serrée.
— « Elle boude, » confia-t-il à Katia dans le couloir.
— « Ne t’en fais pas. C’est l’âge ingrat, ça va passer, » la rassura-t-elle.
Les jours passent, et Zhenya poursuit son mutisme obstiné : elle ignore Katia, refuse ses avances, méprise ses compliments. Quand son père lui offre enfin un cadeau, la jeune fille bondit de joie… jusqu’à ce qu’il précise : « C’est Katia qui m’a aidé à choisir. » Alors elle jette le cadeau dans un coin en silence.
Un soir, Katia suggère un rafraîchissement complet de l’appartement avant la noce :
— « On devrait refaire la déco, changer les meubles. Zhenya est grande maintenant ! »
— « Oui, mais où vivra-t-elle pendant les travaux ? »
— « Et si elle passait l’été chez ma mère ? Zoya Stepnovna adore les enfants : lac, vergers, air pur… »
Convaincu, Sergeï propose la chose à Zhenya :
— « Chérie, tu irais chez ta grand-mère de cœur le temps du chantier. En octobre, mariage. On veut tout prêt. »
— « Je ne veux pas partir ! » tonne-t-elle.
— « Tu te souviens de ton allergie aux peintures ? Ta paupière enflée à l’école ? »
— « Tant pis, je m’en fiche ! » hurle Zhenya.
Sous la menace (ou l’alternative d’un »centre pour ados en difficulté »), la voilà contrainte de faire ses valises. Lors du trajet, elle bougonne :
— « Papa, où on va exactement ? »
— « Sois patiente, on arrive. »
Ils débouchent sur un paisible village et s’arrêtent devant une petite maison bleue au toit rouge.
— « Nous y sommes ! » s’exclame Sergeï.
— « Je vais vivre à la campagne ?! » rétorque Zhenya, incrédule.
Zoya Stepnovna, une dame droite et chaleureuse, les accueille :
— « Bonjour, Zhenya. Installe-toi, on va déjeuner, puis tes parents repartiront en ville. »
Le repas se passe dans un silence lourd. Zhenya refuse de manger :
— « Je ne suis pas là pour faire la vaisselle ! » grogne-t-elle quand on la convie à aider.
Réveillée le lendemain par le chant du coq, elle réalise que la maison est déserte : pas de frigo, pas de provisions. Affamée, elle revient en cuisine, mais Zoya farouche annonce :
— « Le petit-déj était à 7 h, le déjeuner à midi. Tu patientes, j’ai du travail dans le jardin. »
Deux heures plus tard, le ventre vide, elle cédera enfin :
— « Très bien, je vais éplucher les pommes de terre. »
Surprise par son habileté, la vieille dame s’enthousiasme :
— « Regarde, comme tu épluches finement ! Même moi je n’y arrive pas si bien. »
Une pointe de fierté naît en Zhenya. Peu à peu, elle se laisse gagner par le rythme de la ferme : arrosage, désherbage, récoltes. Elle envoie un texto furieux à son père :
— « Tu m’as exilée exprès… »
— « Patiente jusqu’à samedi, je viens, » répond-il.
Jeudi soir, alors que le soleil rougeoie, Zoya la rejoint à l’entrée.
— « Pourquoi ce flegme ? Peux-tu m’expliquer ? »
Les mots se bousculent, puis la jeune fille avoue :
— « Je croyais qu’il ne m’aimait plus, qu’il trahissait maman… »
Zoya la prend dans ses bras :
— « Pleure, c’est normal. Mais imagine-toi dans trois ans, à l’université, entourée d’amis. Ton père, lui, restera seul. L’amour se partage : il aime ma fille, et celle-ci ne remplacera jamais ta mère, mais elle peut devenir une alliée. Tu verras. »
Le lendemain, tout change. Zhenya travaille volontiers, s’émerveille devant la ferme, le verger et la campagne alentour. Elle rit avec Zoya, monte même à cheval grâce à Ivan Mikhaïlovitch.
Quand, enfin, Sergeï et Katia reviennent, ils découvrent une scène bouleversante : femme et belle-fille marchant main dans la main, glaces au goût de framboise à la main.
— « Elles s’entendent bien, non ? » murmure Katia.
— « On dirait », sourit Sergeï, ému.
Rentrée en ville, Zhenya découvre sa chambre métamorphosée : papiers peints modernes, meubles neufs. Elle s’approche de Katia, un peu intimidée :
— « Merci… »
Katia l’enlace, et tous deux, enlacés, tourbillonnent dans la pièce, chantonnant :
— « Mes filles adorées, tout ira bien ! »
Zhenya, le regard posé sur un livre de contes de fées, sourit. Parfois, un pas vers l’autre suffit pour transformer une marâtre en une belle-mère… voire en une amie.